Piano carré Charles Lemme (1818)
Piano carré du type “ordinaire” de ceux que l’on trouvait dans ces années là, à la facture proche d’Erard. Doté de la mécanique à double pilote dite “française” popularisée par Erard, l’instrument est intégralement bicorde (fer/laiton/laiton filées ouvert laiton), avec l’extension des aigus allant du fa au do (mécanique amovible) commune sur tous les pianos depuis le début du XIXe siècle. Les trois pédales, encore présentes (ce n’est pas toujours le cas !), correspondent au jeu forte, céleste, et luth.
Charles Lemme (1769-1832) semble avoir été un facteur plutôt notable pour l’époque. Sans commune mesure, cela va de soi, avec la production d’un Erard. Il fut néanmoins l’associé d’un nouveau venu à l’époque dans la facture de pianos : Camille Pleyel. Une filiation bien notable !
Une dizaine d’années plus tard, ces pianos auront disparu de la facture française, au profit des pianos carrés plus modernes, à mécanique anglaise. Si d’autres instruments étaient sans aucun doute plus perfectionnés (comme les Erard tricordes, depuis les années 1790, avec 4 pédales), ce piano carré représente les derniers développements d’une technologie aujourd’hui tombée à tort dans l’oubli.
La mécanique à double pilote offre un jeu léger et précis, dont la descendance directe sera le double échappement d’Erard, conçu pour retrouver les mêmes sensations alliées à une puissance de jeu augmentée. Le rendu harmonique diffère radicalement de ce que l’on peut attendre des pianos ultérieurs : la fausse table d’harmonie, en épicéa (plus tard en acajou, plus esthétique), joue un rôle essentiel en renforçant le registre medium et grave, et sans laquelle le son devient trop clinquant et faible. La caisse et le couvercle de l’instrument sont loin d’être secondaires, contrairement au piano encadré de fonte qui viendra quelques années plus tard : ainsi disposait-on d’un pupitre pour le jeu couvercle ouvert, et d’un autre couvercle fermé.
Cet instrument fut l’occasion d’expérimenter la sonorité concertante des petits pianos carrés, trop souvent oubliés derrière l’intérêt contemporain pour les copies de pianoforte viennois en forme de clavecin. Ils n’ont ni le même rendu (moins puissant), ni la même mécanique. Finalement, il s’entend très bien dans une salle de concert, à condition d’être bien positionné. Se trouver devant, à droite, à gauche ou derrière le piano change radicalement l’écoute.
L’instrument avait été partiellement “bricolé” dans les dernières années, par un facteur inconnu, et servait en dernier lieu de décoration. Une partie du vernis n’est pas présumée d’origine (notamment la barre d’adresse). Les cordes étaient hasardeuses, et les garnitures de fond de clavier les plus accessibles avaient disparu au profit de matériaux incongrus et inadaptés (joints de mousse pour menuiseries, parfaitement infonctionnel). Tous les marteaux ont été conservés, et les pilotes égalements : seules les garnitures d’étouffoirs ont été revues. Les chevilles, mélangées, ont été remplacées par des neuves venant de chez Vogel. Le cordage a été intégralement revu de manière à alléger la charge totale, pour permettre l’accord sans risque à un diapason de 430 hz. Les cordes en fer et en laiton proviennent de Malcolm Rose, et les cordes filées ouvertes, cuivre sur laiton, ont été fabriquées à la demande par Neupert, sur de la corde de Rose également.
La table d’harmonie était fendue de manière importante : une sorte de flipot de contreplaqué avait été inséré, et les barres de table étaient brisées. Le détablage a permis de remédier à tout cela, et l’instrument est aujourd’hui joué couramment !
Ce piano a connu son baptême post-restauration dans un concert de l’association Chambre à Part à Lille le 22 janvier 2022, pour jouer notamment la sonate pour piano et Arppeggione de Franz Schubert (J.-M. Dayez / N. Deletaille), deux siècles après sa création à quelques années près. On ne pouvait trouver plus juste pour un piano sorti d’atelier en 1818…