Notre histoire musicale

Harmonie ouvrière de Bauvin vers 1930

L’atelier à travers l’héritage ouvrier et familial

Naissance d’une tradition musicale

Le premier musicien connu de la famille était un obscur joueur de violon de Vieux-Condé (59) vivant à la fin du XVIIIe siècle nommé Jean-Baptiste Vandevoir. Individu aux moeurs probablement peu recommandables, le hasard fit que sa descendance (qu’il préférât ne pas reconnaître), qui n’en a guère gardé le souvenir, reprendra à son tour une activité musicale inséparable du milieu des mines de charbon. Sa petite-fille fera le choix d’épouser un mineur notoirement socialiste, syndicaliste et libre-penseur qui, après avoir milité aux côtés d’Emile Basly, se fera bannir de la Compagnie des Mines d’Anzin, obligeant la famille à déménager dans un autre secteur. C’est ainsi que la famille Dufour finit, dans les années 1890, dans les corons de Bauvin (59), au bord de la Deûle.

À cette époque, les compagnies minières mirent en place des ensembles musicaux (fanfares, harmonies) dans un but de promotion et de contrôle de la culture ouvrière. En se servant du milieu ouvrier, les propriétaires transmirent une partie de la culture bourgeoise là où elle n’avait que peu pénétré : l’enseignement de la musique dite “savante” fut particulièrement important, rompant avec le principe de la musique populaire. Certes, dans ce siècle de révolutions, la chanson populaire avait souvent accompagné les bouleversements sociaux, et l’esprit des “réactionnaires” de l’époque ne pouvait y voir que les signes d’une remise en cause de l’ordre établi. Musiciens de circonstance pour beaucoup, des mineurs et leurs familles s’inscrivirent dans cette nouvelle “tradition” musicale.

Chez les Dufour, deux fils suivirent le mouvement : Louis (1889-1967) et surtout Georges Dufour (1909-1959). Ce dernier, vers 1930, revint de Paris avec un premier prix de trompette du conservatoire : à la sortie du train, la moitié de Bauvin l’attendait pour l’acclamer. Musicien de la garde républicaine, il fut le premier à professionnaliser la passion qu’on lui avait mis à disposition.

Son neveu, Léopold Dufour (1909-1983) (notre arrière-grand-père) dirigea l’harmonie ouvrière de Billy-Berclau, puis de Bauvin jusqu’aux années 1970, où il enseigna la musique à plusieurs générations de musiciens locaux, et marqua la vie musicale bauvinoise (une salle porte d’ailleurs aujourd’hui son nom). Il était désormais difficile d’échapper à la musique dans la famille.

La musique comme normalité familiale

Léopold Dufour ne fut jamais un musicien professionnel, contrairement à son fils, Henri Dufour, qui fut flutiste soliste au sein de l’Orchestre Philarmonique Royal de Liège. Plus récemment, et parmi tous ceux qui approchèrent de près ou de loin la musique dans la famille, ce fut Pierre Dubart (1963-1998) qui fut le dernier à s’engager dans cette voie, jusqu’à sa disparition brutale et prématurée il y a maintenant plus de vingt ans.

La Fabrique du Piano, c’est un peu le fruit de tout cela. Il eut été peu probable d’approcher la musique comme quelque chose de naturel si la famille ne l’eut pas au préalable intégrée à sa culture. D’autre part, on n’échappe pas à son héritage. Que faire d’un siècle de musique, lorsque la fortune des choses fait de soi le dernier à pouvoir la porter pleinement ?

Sans doute n’y avait-il pas de meilleure façon de lier passion musicale et héritage qu’en se plaçant au pivot de l’activité musicale : là où l’instrument se crée, vit ou revit, au travers de l’histoire.