L'artisan
Notre parcours et notre esprit de travail
L’artisan et le philosophe
On s’étonne souvent de voir un doctorant en philosophie entreprendre un CAP, qui plus est dans le microcosme des métiers d’art. C’est pourtant le chemin que je me suis tracé. Ce n’est certes pas le profil attendu du “doctorant professionalisé” dans l’esprit “start-up nation” promu par les tendances universitaires actuelles ; ce n’est guère plus celui recherché par les apôtres du technicisme néo-positiviste qui tend à prédominer dans le métier d’accordeur. A force de dériver, je me suis échoué dans le petit îlot irréductible des artisans du piano, où accord, facture et restauration sont inséparables de l’esprit critique qui préfère le questionnement historique aux dogmatismes rassurants. Nous vivons dans un monde où la Destruction est un concept prédominant, au point qu’il nous devienne possible d’envisager qu’il gravite autour d’un “mouvement autonome de Destruction dont la capacité d’intégration est totale”. C’est le rôle du philosophe que de comprendre cette aliénation généralisée, d’en expliciter la nature et les enjeux évidemment cruciaux pour notre époque. Parmi le flot inquantifiable des disparitions discrètes et irréversibles de pans de notre réalité, certaines touches à notre dimension esthétique humaine. J’ai très vite pris conscience que ma thèse de la Destruction se validait également sous mes yeux, au sein de l’univers musical hérité de la tradition familiale. Comme la plupart des pianistes (amateurs ou non), j’ai appris les dichotomies entre “l’ancien” et “le moderne”, les terminologies si naturelles de “piano d’étude” et “de concert” ; j’ai travaillé “le Hanon” et j’ai lu Bach ou Mozart dans des éditions surtrafiquées avec la consigne impérative d’en suivre à la lettre la moindre indication stupide, quand ce n’était dans une pure réduction à un exercice mécanique. Une fois quelques “remises en doute” au détour d’un poêle, j’ai découvert l’existence des tempéraments inégaux, de l’uniformisation de la facture instrumentale et donc également de l’interprétation, le monde insoupçonné redécouvert par les facteurs de clavecins et leurs interprètes, le pianoforte et les livres de Paul Badura-Skoda. Il y avait là une question à explorer liée à une pratique concrète. Mon travail d’ “artisan-chercheur” n’a pas d’autre visée que de sauver, à défaut de créer, des ouvertures et les différences dans la dimension musicale développée dans la pratique du piano. Ce travail se mène en comprenant et en restaurant les pianos historiques, mais aussi en cherchant, à partir d’eux, quel est la nature et la forme de l’instrument qui aurait sa place dans notre temps, et qui serait capable d’ouvrir à la différence musicale sans copier le passé.
Parcours
Musicien (presque) de naissance et ancien élève du conservatoire de Saint-Omer (62), j’obtiens mon Baccalauréat (série littéraire) au Lycée des Flandres d’Hazebrouck (59) en 2010. Licencié puis Maître de Philosophie (parcours Recherche) de l’Université de Lille-3 en 2016, je suis doctorant depuis 2018, menant une thèse (débutée en 2017) sous la direction d’Holger Schmid intitulée “Destruction et Révolution : essai sur l’unidimensionnalisation du monde”. Mes activités de philosophe sont rassemblées sur une page web spécifique. Depuis 2021, je suis enseignant vacataire à l’Université de Lille, donnant cours aux étudiants de licence de sociologie et d’humanités, sur l’environnement et la Shoah.
J’intègre durant mon doctorat le Lycée professionnel Ignace Pleyel de Loos (59) et obtient avec succès le Certificat d’Aptitude Professionnelle “Accordeur-Réparateur de pianos” en 2019. Seule section publique de France à former et à délivrer le diplôme (et historiquement la première), elle m’a permis de découvrir l’enseignement professionnel et offert un environnement de discussion critique et ouverte d’esprit (Christophe Montel, Bertrand Lelong) que l’on ne devinerait pas forcément lorsque l’on provient du monde universitaire. Cette formation fut complétée, notamment, par des stages chez David Boinnard, facteur de clavecins à Ronchin (59), chez qui j’ai eu l’opportunité non seulement de travailler sur d’autres instruments (clavecins, lautenwerk, pianoforte XVIIIe), mais aussi de découvrir la facture, la recherche instrumentale et une pensée très réfléchie de la restauration.
Après avoir été, de manière secondaire, professeur de piano et, accessoirement, généalogiste familial professionnel (activités toutes deux exercées dans une démarche très voisine de celle de restaurateur), je suis inscrit en juillet 2019 à la Chambre des Métiers et de l’Artisanat des Hauts-de-France comme artisan d’art restaurateur de pianos, qui constitue depuis mon activité principale.